Chapitre 32
Le chaos régna en maître absolu pendant un temps indéfini. Tout le monde criait, tous étaient bouleversés et effrayés. La seule chose que tout le monde semblait avoir comprise, c’était que Dougal était mort. Le feu brûlait toujours ; personne n’essayait plus de l’éteindre. Je me contraignis à m’arracher à mon chagrin, craignant que les hommes de Dougal ripostent mais, quand je levai la tête, personne ne semblait se battre. Adam et Dom n’étaient plus entravés et ils s’approchèrent d’Andy et moi. Je pleurais encore trop pour être capable de parler et Andy expliqua ce qui s’était passé.
Quand il eut fini, Saul, toujours en tenue de camouflage et sa carabine en bandoulière dans le dos, sortit du bosquet pour rejoindre le petit groupe serré que nous formions. Il s’agenouilla sur le bitume en face de moi et me serra fermement l’épaule.
— Tout est arrivé si vite que je n’ai pas compris ce qui se passait, dit-il. Et je ne sais pas si j’ai ensuite agi assez vite. Il était déjà tombé quand j’ai tiré, mais il n’était peut-être pas encore mort.
Je relevai la tête d’un coup, ma poitrine se gonflant d’une vague d’espoir.
— Tu veux dire qu’il pourrait avoir survécu ? demandai-je dans un couinement rauque.
Je perçus un grognement de douleur et d’espoir mélangés dans ma tête. Saul acquiesça lentement.
— Si ce sont mes balles qui ont tué son hôte, et pas le feu, alors il est reparti au Royaume des démons.
Soudain, venant de nulle part, le rire d’Andy éclata dans la nuit. Nous nous tournâmes tous vers lui comme s’il était devenu fou.
— Il savait, parvint à prononcer Andy. Il savait depuis le début.
Nous échangeâmes des regards. Pour le moment, Andy était le seul à comprendre la plaisanterie.
— Qu’est-ce que tu entends par là, Andy ? demandai-je.
Andy inspira profondément.
— Raphael savait qu’il avait une chance de survivre. Il comptait sur Saul pour lui tirer dessus.
Je sentis gonfler dans ma poitrine quelque chose de sombre et d’horrible. Si Andy suggérait que le fait de s’immoler par le feu faisait partie d’un autre des plans machiavéliques de Raphael, j’allais casser la figure de mon frère.
Mais il dut sentir le coup venir, car il leva la main.
— Laisse-moi finir. La dernière fois qu’il m’a possédé, Raphael m’a confié son Nom véritable.
Nous en restâmes tous bouche bée. Le Nom véritable de Raphael était son secret le plus précieux, il ne l’avait même pas révélé à Lugh. Mais il l’avait confié à Andy avec qui il n’entretenait pas vraiment une relation idyllique.
— Je n’ai pas réussi à lui faire dire pourquoi il me confiait tout à coup son Nom véritable, poursuivit Andy. Ça n’avait aucun sens. (Il secoua la tête.) Mais maintenant je comprends. C’était son plan depuis le début, même avant que nous rencontrions Dougal la première fois. Il savait qu’il allait brûler avec Dougal, mais il a dû espérer qu’il bénéficierait d’un sursis de dernière minute.
Saul secoua la tête.
— Il ne pouvait pas savoir que nous aurions un tireur posté aux environs. Ce n’était même pas son idée, mais celle de Lugh.
— Ce n’est pas parce qu’il ne l’a pas mentionné qu’il n’y a pas pensé, répliqua Andy. Il ne serait pas si dangereux s’il n’était pas aussi intelligent.
— Tu parles de lui comme s’il n’était pas mort. Rappelle-toi que j’ai peut-être tiré trop tard.
— Quand as-tu compris qu’il s’agissait de ton père ? demandai-je à Saul sans même chercher à dissimuler mon ton accusateur.
Saul affronta mon regard suspicieux sans ciller.
— Dès que j’ai compris ce qui se passait, j’ai su que c’était lui. Impossible qu’il ait pu s’agir de quelqu’un d’autre. Mais je n’ai pas hésité pour autant. Je n’ai pas non plus tiré pour sauver Raphael. (Ses lèvres se retroussèrent légèrement comme chaque fois qu’il prononçait le nom de son père.) Je l’ai fait parce que je savais que Lugh l’aurait voulu.
Les hommes de Dougal grouillaient encore autour du terrain, l’air perdu. Je baissai la voix pour chuchoter.
— Est-ce que vous croyez que ces types vont nous attaquer ?
Nous n’étions pas vraiment sur nos gardes. Adam secoua la tête.
— Dougal n’est plus là pour les protéger. Ils se sont déjà positionnés comme ennemis de l’État en venant ici aujourd’hui pour soutenir leur chef. Ils espèrent probablement qu’ils vont pouvoir se sortir du trou qu’ils ont eux-mêmes creusé. (Il baissa davantage la voix.) Bien sûr, ils n’ont aucune idée de qui est qui. S’ils savaient que Lugh et Saul – l’héritier de Lugh, si Raphael est vraiment mort – sont ici, ils pourraient décider de nous tuer.
— Peut-être devrions-nous filer d’ici avant qu’ils commencent à trop spéculer alors, dit Saul.
D’un geste désinvolte, il reprit en main la carabine attachée dans son dos. Il ne la braquait encore sur personne, mais c’était bien de savoir qu’il l’avait.
— Ils ne vont pas risquer de se faire tirer dessus pour être renvoyés au Royaume des démons alors qu’ils ne savent pas où nous nous trouvons, Lugh, Raphael et moi, ajouta-t-il. Dirigez-vous vers les voitures. Je garde un œil sur eux.
Adam dégaina son pistolet et vint se poster à côté de Saul pendant qu’ils nous conduisaient vers le parking. Les hommes de Dougal semblèrent brièvement avoir l’intention de nous en empêcher, mais un regard vers nos armes suffit à les convaincre qu’il valait mieux nous laisser partir.